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La Palestine au temps du ramadan (extrait de mon premier livre)

Bien sûr, la religion est présente partout en Palestine, et cette présence n'est pas pour rien dans la fascination que suscite cette "terre trois fois sainte". Surtout quand les hauts-parleurs de 100 mosquées poussent d'un coup le même chant de muezzin.


Extrait donc du portrait 17, dans mon livre "Naplouse, Palestine - Portraits d'une occupation" :


"Ça y est, il est 12h33 ! Mon Mussolini de Palestine remplit la porte de son grand corps et touche délicatement le bras de son imam recueilli. Lui plaque plus fort sa main droite sur son oreille, ferme un peu plus les yeux, prend une grande respiration, se penche un peu pour ouvrir l’amplificateur des micros, et lance d’une voix assurée, mélodieuse, certaine de sa force et de sa propre certitude, deux « Allahou akbar » tout juste modulés, à peine chantés, avec cette inflexion de la voix qu’on prend quand on accueille des invités chez soi. Puis il commence de longues phrases musicales qu’il accompagne de lents et courts mouvements de tête, comme quand ma grand-mère me chantait, d’une voix chevrotante, une comptine pour m’endormir. La voix d’Amar ne tremble pas, elle émet seulement un léger vibrato qui est l’unique effet perceptible dans la petite pièce, où tout est pur, simple, binaire : croire ou ne pas croire. Mais je sais pour l’entendre cinq fois par jour depuis un an, je sais qu’à l’extérieur, par effet d’amplification, de réverbération entre les flancs des deux montagnes qui enserrent Naplouse, de décalage d’émission du son à travers cent mosquées réparties sur une fausse vallée d’au moins dix kilomètres de long, je sais que cette voix d’homme claire, juste, solide, mais sans génie particulier, va devenir, grâce aux haut-parleurs gargouilles des minarets, une mélopée lancinante et physique, un long corps sensuel et ondulant qui va se lover de tout son long dans le vallée, se frotter, gratter aux portes, s’immiscer partout, et prendre, un à un ou par paquets, tous les habitants de la ville dans ses au moins dix mille bras, glissant par les oreilles et des orifices inconnus ses au moins cent mille doigts pour presser les cerveaux et étreindre les cœurs. Ce chant hululant, presque un youyou grave et triste — ou plutôt concerné, sérieux —, cette plainte qui semble surgir illusoirement, grâce à la sonorisation commune, de cent et quelques suppliants à la fois, créé, je le sais, à travers tout Naplouse, un puissant effet de transe hypnotique, et transforme cinq fois par jour la cité en une étrange scène techno dont le DJ serait invisible, comme pour un énorme festival de musique dont la date de fin n’aurait pas été fixée

…"

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