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Photo du rédacteurStéphane Aucante

L'un des autres de EVE ET LOUIS (ET QUELQUES AUTRES X)

Cet autre est le fils d'une riche famille d'industriels lorrains qui va subir de plein fouet la restructuration industrielle des années Mitterrand. Bien qu'il ne soit qu'un personnage secondaire du roman (qui avance, mais lentement...), il a droit à un chapitre rien que pour lui — mais court, à peine une dizaine de pages — et en voici le début (à ce jour) :


"Le château de la famille Wendler était une grosse bâtisse carrée à trois étages. A chaque angle, des renflements un peu plus hauts prétendaient être des tours et donnaient à l’ensemble un côté jouet, comme fabriqué en Lego, fenêtres bien alignées, toits lisses, cheminées symétriquement disposées. Une construction très peu imaginative mais qui faisait riche, opulente, comme un gros gâteau très sucré, mais « à la française », sans les délires néo-gothiques des châteaux bourgeois de l’Allemagne toute proche. Seule concession aux goûts roboratifs des voisins teutons, une fine tour ronde avait été ajoutée quelques années après le chantier principal au milieu de la façade qui boudait côté entrée du parc. A l’origine, elle était plate et crénelée, et l’histoire familiale raconte que c’est là-haut que s’était conclu par une poignée de mains à chevalières d’or le contrat qui permit à une usine tout juste rachetée de fournir une partie de l’ossature d’acier du monstre Tour Eiffel. A la naissance de son fils, Roland Wendler, trop amateur de pâtisseries à la crème et en particulier de Saint-Honoré, y fit y rajouter une sorte de clocheton en forme de tétine de biberon, mais avec à l’intérieur, comme son nom l’indique, une cloche. Une pauvre cloche toute triste parce que toute seule accrochée à sa poutre de chêne. Vraiment, à son installation, elle fit peine à voir en comparaison des séries de sœurs jumelles qui sonnaient leurs angelus depuis les clochers d’églises environnantes. La poucette solitaire ne savait pas que tous ces carillons se tairaient bientôt— sauf pour meugler aux enterrements — fautes de mains pour les actionner et de paroissiens à convoquer aux messes quand elle continuerait encore— mais pas si longtemps que ça — à s’époumoner à chaque anniversaire de Fabrice Wendler, fils de Roland, à raison d’une minute supplémentaire de tintinnabulage par année. A la fin des trois-minutes- égalent-trois-ans de l’un des enfants potentiellement les plus riches de France après héritage et impôt — ou bien l’inverse —, la poutre en bois cassa net, et la famille décida, en toute fin d’un conseil d’administration houleux qui venait d’entériner de mauvais chiffres d’exportation, qu’elle serait remplacée par une poutrelle métallique. Oui, il était plus que temps de donner l’exemple, de préférer l’acier au bois pour redorer le blason de la sidérurgie française en général et de la minette lorraine en particulier ! Un tel changement au château des Wendler ne sauverait pas pour autant le bassin industriel local qui, bien que fabriquant entre autres des rails de chemin de fer, avait manqué le train de la modernité. Moderniser des usines, ça coûte cher, et après ça, on ne peut plus se bâtir de châteaux en forme de gâteaux d’anniversaire.

Pendant les trois minutes qui précédèrent la chute de la cloche — elle traversa même un plafond et endommagea le portrait en pied d’Auguste Dupont, des entreprises Fould-Dupont de Pompey entrées dans le giron des Wendler par un mariage arrangé, qui trônait au dernier pallier de l’escalier de la tour-biberon en souvenir de la fameuse poignée de mains —, il se produisit un double miracle : le petit Fabrice Wendler, qui faisait déjà pourtant son bon mètre et ses vingt kilos, prononça son premier mot en faisant ses premiers vrais pas. Pendant trois ans, il n’avait pas eu besoin de parler puisqu’une armada de majordomes et de bonniches veillait jour et nuit à son bien-être et qu’il n’avait qu’à froncer le nez, plisser le nez, au pire émettre un début de vagissement, pour obtenir ce qui voulait, du lait bien chaud, une couche propre ou bien la moitié de la montagne de jouets amoncelée dans sa chambre. Les plus perspicaces des serviteurs du « petit maître » comme ils l’appelaient s’aperçurent assez vite qu’au-delà des marques d’impatience ou de colère propres à un enfant dans son âge, même à ceux qui savaient depuis au moins deux ans marcher et parler, le charmant bambin joufflu avait un véritable don pour imiter les mimiques, grimaces et sons corporels de son proche entourage, c’est-à-dire, pour l’essentiel, de ses propres parents. Il suffisait par exemple qu’il gonfle ses joues, bride ses yeux, émette des deux lèvres un son strident ressemblant au pet du constipé, et hop ! c’était son père, Roland Wendler, qui apparaissait. A l’inverse, pour imiter sa mère, Aimée — drôle de nom quand on a soi-même subi un mariage arrangé sans goût ni saveur, à l’inverse du rhum du même nom, et qu’un mari vous aime comme il aime ses chiens de chasse et sa collection de pipes en os —, le petit Fabrice pinçait la peau de ses joues entre ses dents, levait les yeux au ciel, et avançait ses lèvres en cul de poule pour émettre le même soupir d’agacement que celui que soufflait sa mère quand son mari parlait chiffres ou qu’une bonne demandait sa journée, parce que, c’est sûr, elle allait avoir ses règles. Au fond, on ne s’ennuyait pas au château des Wendler. Pour les un an du fils chéri, la cloche avait sonné une minute, puis deux l’année suivante, et, quelques secondes avant les trois qui précédèrent la chute fatidique sur le portrait de l’auguste Auguste, Fabrice Wendler prononça distinctement le mot « sidérurgie » en faisant quatre pas debout — un par syllabe.

Pour accomplir ce deuxième miracle, Fabrice s’était d’abord dressé au-dessus de son cheval à bascule et roulettes, cadeau principal du deuxième Noël de sa vie, avait poussé le jouet en avant, fait demi-tour et crapahuté en sens inverse. Si-dé-rur-gie. Le cheval n’aurait servi à rien… Ce n’était pourtant pas un de ces vulgaires cheval de bois monté sur deux mauvais arceaux qui cassaient au bout de trois mois comme on en faisait encore à la pelle à la fin des Trente Glorieuses. Non, celui-là était plutôt une imposante peluche densément rembourrée, aux poils synthétiques marrons et blancs qui ressemblaient plus à des touffes de gros tapirs qu’à des crins d’équidé, montée sur un cerceau d’aluminium incurvé équipé de quatre roulettes escamotables. En voyant la chose dans la vitrine des Nouvelles Galeries de Nancy, Roland Wendler avait eu un coup de cœur qui aurait mourir sa femme de jalousie. Sur le mode d’emploi, il avait lu que de zéro à six mois, bébé se balançait, ses petites menottes accrochées aux poils ; qu’à six mois, on désescamotait les roulettes ; que de six mois à un an, fifils ou fifille roulait en poussant avec ses jambettes ; et qu’à un an, l’enfant descendait de cheval et marchait, les jambes un peu arquées, certes, mais il marchait. Pas Fabrice qui donc, très tôt, ne fut pas un enfant comme les autres. Il faut qu’il n’avait pas un père comme les autres…"


Moi, je me suis bien amusé à écrire ce début... Et vous, vous-êtes vous amusé à le lire ?...

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