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Photo du rédacteurStéphane Aucante

Nouvel atelier en quartier pour mineurs

Avec l'association Hors Cadre et le Labo des Histoires Hauts-de-France, et dans le cadre du projet "Plaines d'été de la PJJ" (à retrouver aussi sur www.notragora.com)


N.B. : ces ateliers initialement prévus fin août / début septembre ont été décalés à l'automne (ou à l'été indien...) pour des raisons d'organisation.



Moments éclatés à Liancourt


On nous avait dit, à Thibaut et à moi, que des quatre quartiers pour mineurs des Hauts-de-France, Liancourt était le plus dur… Eh bien, sans que je sache bien dire pourquoi, ça s’est révélé vrai…

Pourtant tout l’établissement, quartier majeur comme quartier mineur, est moderne, lumineux, bien entretenu. Les surveillants sont parmi les plus empathiques que nous ayons rencontrés, et l’éducateur qui nous a accompagné pendant deux jours est un modèle de calme et d’attention, je dirais même de douceur.

Et pourtant, donc, dedans c’est dur… On a travaillé avec deux groupes plutôt différents sur le papier, mais, au final, pendant les deux séances pour chaque groupe, la même tension, la même dynamite en sommeil prête à exploser sans mèche, la même violence sourde, mal contenue, et bien sûr dirigée vers le plus faible de la bande.

Un sacré ouistiti celui-ci ! Boules de nerf et de billard mêlés, ingérable, imprévisible, à l’évidence très mal dans sa peau, très mal tout court, peut-être même malade (alors que fait-il là ?) mais terriblement attachant par moment. Paumé. Faisant la manche à l’attention, au sentiment. C’est lui qui, à la fin, nous a adressé le plus sincère merci.

Et pourtant, à cause de lui, j’ai bien crû à un moment que, dans la classe, éducateur dépassé, porte fermée, surveillants pas forcément à côtés, ça allait tourner bagarre, pugilat. Je crois même que, pour la première fois en une bonne dizaine de séances d’ateliers déjà, j’ai eu peur… Un peu… Ou plutôt, j’ai pensé que je pourrais avoir peur mais elle n’est pas venue l’effrayante, la terrifiante. Je lui ai dit « je n’ai pas besoin de toi » quand elle a montré son nez, ses tentacules. Peut-être alors m’a-t-elle répondu : « tu es un naïf, un indécrottable idéaliste ». Puis elle est repartie sans avoir eu droit de cité — on ne rentre pas comme ça, l’air de rien, dans une prison — puis, d’un coup, tout est retombé.

Mais quand même, j’y pense maintenant : c’est la première fois qu’on m’a donné un talkie-walkie pour appeler à l’aide en cas d’urgence. Mieux, même pas besoin d’appeler en fait, il suffit d’appuyer sur un bouton rouge, près de l’antenne ; et alors il paraît, je cite la surveillante qui m’a confié le bazar la première fois, « tout le monde rapplique ». Au bouton, je n’y ai même pas pensé pendant que la peur rôdait. Naïf, idéaliste, et en plus complètement tête en l’air je suis !

Dans une telle ambiance, pendant les deux jours, il a fallu les attraper au vol les bribes de textes, les voler presque, entre deux engueulades et coups de grisou. C’est ça, il y a peut-être un drôle de gaz qui flotte à Liancourt, un truc explosif… Avec le premier groupe, on est partis sur du slam/rap à partir d’une photo. Avec le deuxième, j’ai tenté pour la première fois l’écriture de lettres. Voici en vrac, en boules, en morceaux — c’est-à-dire un peu comme je les ai reçus —, les différents textes qui ont réussi à surgir, à se glisser têtus, et, je trouve, avec une certaine fulgurance.


*


Quand il y a du soleil

Il y a de la pluie

Et des voitures cassées

Dans la nature



On est pas de

Nature à fair’ la rue

C’est des menteurs

Quand y parl’ de futur

On est des dieux

La street, c’est not’ vécu

On a du cœur

On est pas des ordures



Moi j’ai les bras longs

Avec les juges

Et ma peine

Est aussi longue

Que mes bras

Je suis tellement rentré dans sa tête

Qu’à la fin elle m’a condamné


Je viens en haraga

Alger et Malaga

Je plonge dans la mer

Je vois des gens amers

Dans le bâteau choqués

Et mon voyage bloqué


Dans le désert

Je suis seul, il fait chaud

Et je pense à ma mère

Y a pas d’eau !

La soif me prend l’ chapeau

Et je vois

Un oasis à l’envers


*


Cher frère. Je te fais cette lettre pour avoir de tes nouvelles et t’en donner des miennes. J’espère que tu vas bien et je te souhaite santé, bonheur, honneur. La dernière fois, j’ai pensé à notre souvenir dans le quartier à faire des barbecues et à rester tous ensemble avec les copains dehors.


Bonjour mon frère. Comment vas-tu ? Moi, personnellement, je vais bien. J’espère que tu vas bien, que tout se passe bien pour toi, que tu as la santé et le bonheur. Hier soir, j’ai rêvé de toi en train de déjeuner étant petit aux bords de la plage. Ça me manque nos tours ensemble, juste le plaisir d’être avec toi. J’espère qu’on se reverra. Tu as beaucoup compté pour moi et tu comptes toujours.


Chère Kaylia. Après tout le mal que je t’ai fait, je ne devrais peut-être pas t’écrire mais je le fais pour venir aux nouvelles, en espérant que tu vas bien, que tu te portes bien. Moi, en tout cas, je vais bien et je garde le moral entre ces quatre murs, c’est le principal. Je vais t’avouer que, encore hier, ce n’est pas le seul soir, mais plus hier encore, j’ai énormément pensé à toi, à nos fous rires, à note complicité, à notre relation, à nos moments intimes. Tu te rappelles de notre premier bisou avec Océane et Mathis quand on était à Disney ? C’est ce jour que ma plus belle histoire a commencé. A ma sortie, j’aimerais qu’on se voie pour parler car je pense encore à toi. En te remerciant du temps que tu as pris pour lire cette lettre. Je t’embrasse.

Signé : ton ex préféré


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