Grâce à deux personnes que je ne citerai pas ici mais qui se reconnaîtront — sans oublier mon alter ego musicien, Thibaut Camerlynck —, je vais mener de juillet à novembre un cycle d'ateliers d'écriture en musique dans tous les quartiers pénitentiaires pour mineurs de la Région Hauts-de-France.
Première étape du cycle : Quiévrechain. A la demande des deux personnes que je ne nommerai toujours pas, je vais tenir une sorte de carnet de bord. Il s'ouvre aujourd'hui car aujourd'hui, j'ai mené mon premier atelier en milieu carcéral .
Ils s'appellent Amin, Gebril, Abderahim et Syrine — la seule fille du groupe. Ils sont tous les quatre incarcérés au quartier pénitentiaire pour mineurs de Quiévrechain, et Thibaut et moi venons de les rencontrer pour la première fois. Thibaut, c'est le musicien qui m'accompagne en atelier — comme aujourd'hui ou demain — ou en lecture musicale — la prochaine est pour mercredi. Amin, Gebril, Abderahim et Syrine sont eux accompagnés, mais pas de la même manière, par Azzadine, leur éducateur. Il y a beaucoup de respect entre l'adulte et les jeunes.
Avec Thibaut, pour ce premier atelier de 2 heures — il y en aura deux autres demain —, nous nous sommes sentis un peu étudiés, et un peu loin malgré nous. Les quatre participants à l'atelier étaient bien là, mais bizarremment, il y avait une distance entre eux et nous, ni désagréable ni violente, mais bien réelle, comme si eux et nous nous tenions de part et d'autre de la vitre d'un parloir. Est-ce qu'ils la transportent sans le vouloir avec eux cette vitre, ces jeunes incarcérés ? Est-ce qu'elle fait déjà partie intégrante de leur vie à incident de parcours, le premier pour la plupart, en espérant qu'il n'y en ait pas d'autres ?
Ces questions-là viennent maintenant. Tout à l'heure, au "quartier", j'ai essayé d'arriver sans question, adaptable, ouvert. Le premier passage de contrôle de sécurité ressemblait à ceux qu'on vit quand on prend l'avion, alors voilà, je suis parti en voyage. Deux cours écrasées de soleil, des bâtiments de béton brut et gris pour l'administration et les lieux de vie en commun, de sortes de grandes maison oranges à un étage pour les zones de cellule, entre 8 et 10 à vue d'oeil par maison. Une est réservée aux arrivants. Une autre uniquement aux femmes. Toutes sont très abimées par endroit, de vrais trous dans le mur, comme si quelqu'un ou quelqu'une s'était cogné la tête là pendant des années. Bien sûr, comme dans les films, il y a ces appels qui fusent sans qu'on sache d'où ils viennent...
Dans la médiathèque où l'atelier a lieu, côté bâtiment gris, Syrine est la seule du groupe a semblé minimalement joyeuse, vivante. Les trois garçons, à des degrés divers, semblent eux très renfermés. Pas de la défiance, non, plutôt un complet état d'être ailleurs, de vouloir être ailleurs. Au moment des présentations d'usage, Thibaut et moi obtenons très peu d'eux : leur âge, leur ville d'origine, leur niveau d'étude, c'est tout. Ah non, les garçons nous ont dit qu'ils aimaient le foot, et Syrine, pour faire bonne figure, a dit qu'elle aimait l'argent; que c'était même la seule chose qu'elle aimait dans la vie.
Au premier exercice d'écriture automatique, à partir de deux portraits assez stylisés du peintre Michel Giliberti, les premiers mots qui sont venus sans y penser étaient presque tous abstraits : dépression, réfléchir, secret... Je me dis aussitôt que ça ne va pas être facile de leur faire écrire des portraits imaginaires : l'imagination a besoin de concret comme le moulin à café de grains à moudre. Alors viennent l'odeur, le goût, la douceur au toucher de la fine poudre noir...
A partir des premiers mots échangés, je demande que chacun écrive une phrase utilisant au moins trois des mots, de nouveau comme ça, sans y penser, et tant pis si le sens n'y ait pas. Amin bloque, Thibaut l'aide.
Puis, en musique, je lis un extrait de mon premier livre, "Naplouse, Palestine - Portraits d'une occupation", un peu de l'histoire vraie de Dina, jeune palestinien de Naplouse, qui fut convoqué par l'occupant israélien pour devenir indicateur-espion et qui refusa. A la fin de la lecture, je parle du jeune homme comme d'un héros du quotidien, et je demande à chacun de me dire si lui-même, au moins une fois dans sa vie, a été un héros. Pas de réponse. Alors je demande s'ils ont été témoins d'une action héroïque, et là les réponses fusent : plus facile de parler des autres que de soi... En tout cas, nous voici en fin d'atelier avec une nouvelle matière : des actions héroïques que nous allons pouvoir associer à des portraits fictifs.
Pourtant, on se quitte avec des airs de n'être pas sûr de se revoir demain ou un autre jour. Quels farceurs ces écrivains en herbe !
Comentários